XIXe -XXIe siècles
Avec sa dernière grande pièce, L’Histoire de Tobie et de Sara (1938), Paul Claudel conjugue de façon inédite théâtre total et exégèse, onirisme du conte et commentaire biblique. L’étude de cette oeuvre d’une richesse jusqu’alors méconnue conduit à interroger les liens intimes entretenus par l’exégèse et le drame claudéliens, pour retrouver la cohérence profonde de ces deux pans de son oeuvre apparemment disjoints, et en dégager un horizon fondamental : les motifs de la gloire et du corps glorieux. Loin de se réduire à une monographie, cet ouvrage se structure ainsi autour du concept clef de figura: si «tout est figure», nous dit Claudel, c’est que tout est fait pour être glorifié, tout est prégnance d’une gloire qu’il revient à l’artiste de manifester, comme exégète du monde dans son théâtre, comme exégète des Ecritures dans ses commentaires bibliques. Ce livre intéresse des domaines variés – poétique, stylistique, dramaturgie, exégèse, mystique et théologie – et offre un éclairage décisif sur plusieurs thèmes de prédilection de Claudel, tels que la conception du drame et de l’action, les relations entre l’Ecriture et l’écriture, le rôle d’israël dans l’Histoire ou encore le sens de l’amour.e l’amour.
TABLE DES MATIÈRES
Première partie
FORCLUSION ET FORMALISME :
LA CARTOGRAPHIE ANALYTIQUE
Chapitre premier. La méthode comme démarche spéculaire : Le risque du figement
La reprise valéryenne de la mathesis universalis de Descartes
De l’Ars magna de Raymond Lulle à la Lingua generalis de Leibniz
Du formalisme de Hilbert à la machine de Turing
Les Narcisses valéryens : de la spécularité à la normopathie
La "pensée" comme perte du "penser" chez Michaux
Chapitre II. Du pouvoir scopique au voeu d’intégration
Le modèle du déterminisme de Laplace chez Valéry et le Moi – Redivivus
Gladiator : la volonté de possession
Du souci cadastral à l’héritage de l’atman chez Segalen
Chapitre III. Organisme et symétrie
Les "degrés de symétrie" de Léonard et de Teste
La consistency de Poe
Plis et symétries de Mallarmé
Du modèle réflexe à la "symétrie agitée" chez Valéry
Deuxième partie
LES FRAGMENTATIONS DE L’ÉDIFICE
Chapitre premier. La césure du spéculatif
Le cogito kantien: "je" est une coquille vide
La conscience malheureuse d’Hölderlin
Le contre-cogito-valéryen : la self-variance
Valéry et Artaud, figures de la pensée convulsive
Chapitre II. Principes de la cruauté et de la défiguration: "forcener les subjectiles", déformer les figures
L’oeil noir de Valéry
Investir les frontières, dissoudre les limites : vers une pensée de la force chez Artaud et Valéry
Le travail diagrammatique, la force oubliée du signe
Axiomatisation et empiètement
"Désemparer la figure"
Chapitre III. L’hétéropoïétique, le "jeu" du déterminisme
Mallarmé : hasard contre nécessité
Briser le cercle du Même : le surgissement de l’autre chez Valéry
Echapper aux coordonnées : le clinamen de Michaux, l'"antipode boréen" de Segalen
Troisième partie
LA CARTOGRAPHIE POÉTIQUE :
LES AVATARS DU POÏEIN
Chapitre premier. L’esthétique valéryenne de la danse .
La danse: un art transcendantal?
La danse hors la scène: la "philosophie" valéryenne de la danse
"De la danse" à "L'infini esthétique"
L’intensité de la danse : une « poésie générale des actions humaines"
Un espace-temps sans dehors
Chapitre II. L’espace de l’extase : l’apport de l’esthétique de Straus à la compréhension du poïein valéryen
Espace lisse et espace strié
Son et espace originaire
Aisthèsis et poïesis
Merleau-Ponty et Valéry : l’expression ou le sentir
L’esthétique comme dévoilement progressif : de Hegel à Klee, Straus et Valéry
Esthétique, épistémologie et poïétique (Straus, Mach, Valéry et Michaux)
Chapitre III. La cartographie de l’informe chez Georges Bataille : le signe comme symptôme dans Documents
La notion de dépense comme inclination vers le processus
Aspects de la poétique bataillienne de linforme dans Documents
Chapitre IV. Le tracé du hiéroglyphe : la danseuse de Mallarmé
Mallarmé et le rituel de l’Idée
Le Ballet, plutôt que le théâtre ou la musique
Conclusion
Bibliographie des ouvrages et articles consultés
Index
Sous le nom de « cartographie poétique », ce livre entend décrire une conception de la création commune à des écrivains, essayistes et poètes, comme à des peintres, des philosophes et des scientifiques. Cette création échappe à l’intelligence de type déductiviste, à la pensée du programme, pour s’affirmer comme imprévisibilité et puissance inductrice susceptible de s’épanouir dans des rythmes, des tracés ou des enchaînements conceptuels. C’est donc aussi à une critique de la pensée analytique que cet essai se livre, afin d’en cerner les impasses et les empêchements et de promouvoir une dialectique ouverte qui est contact du sujet créateur avec un monde qui le colore, dans le mouvement même où celui-là le cartographie. La dite cartographie, s’employant à cerner les ressources de l’esprit en acte, en vient à ne pas se limiter à une topographie mentale, forcément réductrice, pour embrasser, à l’instar de Valéry, la triade du « Corps-Esprit-Monde » et en traduire les intersections. La figure de ce sujet cartographe est idéalement la danseuse, incarnation d’une subjectivité rénovée par l’extase.
Table des matières
OUVERTURE par M. Bruno RACINE, président de la Bibliothèque nationale de France
INTRODUCTION (bibliographie et table de concordance des noms chinois cités)
Madeleine BERTAUD (Université de Lorraine, ADIREL) et Cheng PEI (BnF)
PREMIÈRE PARTIE: QUAND JE DEVIENT UN AUTRE
ZHANG Hua (Université Fudan, Shanghai), "Quand Je devient un Autre : D’une quête identitaire de François Cheng à travers Le Dit de Tianyi"
CHU Xiaoquan (Université Fudan), "Le langage romanesque de François Cheng dans Le Dit de Tianyi"
QIN Haiying (Université de Pékin), "François Cheng entre le propre et l’étranger"
DEUXIÈME PARTIE: « HABITER POÉTIQUEMENT LA TERRE »
Cheng PEI, "A l’écoute de « l’Orphée sorti d’ailleurs », une lecture de la poésie de François Cheng"
Dominique MILLET-GÉRARD (Université Paris-Sorbonne), "François Cheng et Paul Claudel : formes brèves. Petits poëmes (d’après le) chinois"
"Pierre BRUNEL (Université Paris-Sorbonne), "Vraie lumière née de vraie Nuit"
Luc FRAISSE (Université de Strasbourg), "La poétique du roman dans L’Eternité n’est pas de trop"
Madeleine BERTAUD, "Le féminin selon François Cheng"
TROISIÈME PARTIE: OEIL OUVERT ET COEUR BATTANT
Lise SABOURIN (Université de Lorraine), "Peinture et écriture : la quête de beauté de François Cheng"
Eric LEFEBVRE (Musée Guimet, Paris), "Voix poétique et vérité artistique : les écrits sur la peinture
chinoise de François Cheng"
Eric LEFEBVRE, "Un chapitre de la réception de la peinture chinoise en France au XXe siècle : note sur François Cheng et Shitao"
Dominique MILLET-GÉRARD, "Poésie et peinture : Cheng et Claudel"
Madeleine BERTAUD, "François Cheng à la rencontre de la peinture occidentale, retrouvaille et découvertes (Vinci, Cézanne, Rembrandt)"
QUATRIÈME PARTIE: « D'UN SIGNE À L'AUTRE »
Cheng PEI, "Note sur la traduction en chinois du Dit de Tianyi"
YUAN Li (Université Fudan), "Réflexions sur la traduction à l’horizon d’une « éthique planétaire » : l’exemple de François Cheng, traducteur de poésies chinoises"
ZHU Jing (Université Fudan), "Un dialogue du coeur au coeur (à propos de ma traduction d’A l’orient de tout)"
POSTFACE
Madeleine BERTAUD et Cheng PEI : Une lecture à deux voix
Index des noms d'auteurs et d'artistes occidentaux
Nos auteurs
Le volume François Cheng à la croisée de la Chine et de l'Occident contient une sélection des actes en français du premier colloque franco-chinois consacré à l’œuvre de François Cheng (Paris-BnF et ADIREL, Shanghai-Université Fudan, novembre 2011) et répond à l’édition chinoise qui vient d’être publiée par les Presses de Fudan.
On sait que la vocation littéraire – poétique surtout – de l’écrivain qui siège à l’Académie française depuis 2002 remonte à l’adolescence. Arrivé de Chine à Paris à l’âge de dix-neuf ans, il a choisi d’écrire en français, après un long apprentissage de cette langue et, avec elle, de la culture occidentale. En même temps, l’homme né «à l’orient de tout» n’a rien oublié de son fond natif; il n’a rien rejeté de celle qu’il appelle «sa vieille nourrice»: par l’étude, la méditation et beaucoup de passion, il est parvenu à mettre en symbiose deux univers que tout semble opposer. Ce travail exceptionnel a provoqu© en lui une véritable mutation : «J’étais devenu quelqu’un d’autre». Pénétrer dans sa création, en chercher les secrets – sens et beauté réunis –, et en même temps rendre hommage, à travers lui, aux cultures des deux pays, autant d raisons de susciter, entre lettrés français et chinois, une rencontre – celle qui permet, selon ses mots, le fécond dialogue. De fait, au fil de lectures croisées, c’est bien un dialogue qui s’est déroulé au sujet d’une œuvre nourrie de spiritualité et riche de messages qu’il est important d’éclairer. Car si l’œuvre de François Cheng n’est pas toujours d’un accès facile, son auteur s’est donné la plus haute des missions: aider les hommes à vivre.
Madeleine Bertaud et Cheng Pei ont assemblé seize communications selon une logique qui va de la quête d’identité liée à la perte des premiers repères aux traductions chinoises des livres de Cheng en passant par sa conception de la poésie et ses réflexions sur la peinture. Une introduction et une postface viennent compléter l’ensemble, ainsi qu’un index des noms chinois de personne avec table de concordance de leurs différentes transcriptions.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction générale
Première partie : L’entrée dans le champ littéraire français
Chapitre premier : Monique Briod et Rainer Maria Rilke
Monique Briod, une égérie rilkéenne
Rilke et La NRF, une mythologie littéraire
Chapitre II : Les rilkéens
Etapes et acteurs d’une réception
Une communauté interprétative
Monique Saint-Hélier, membre de la communauté rilkéenne
Rilke et Les Cahiers de Malte Laurids Brigge vus par les rilkéens
Chapitre III : Réception de La Cage aux rêves (1932)
Monique Saint-Hélier : une malade, émule de Rilke
La Cage aux rêves vu par les rilkéens
Deuxième partie : Les années du succès
Chapitre IV : Bois-Mort, un roman Grasset
Entrée de Monique Saint-Hélier chez Grasset
Lancement de Bois-Mort
Chapitre V : Chronologie et acteurs de la polémique
Avant les prix
Après les prix
Chapitre VI : Bois-Mort, un roman au carrefour de différents sous-genres
Néo-romantisme et néo-classicisme
Le roman français et le roman anglais
Bois-Mort, un roman français
Bois-Mort, un roman anglais
Le roman poétique
Bois-Mort, un roman poétique
Bois-Mort, un roman d’atmosphère
Bois-Mort, un roman de femme
Bois-Mort, un roman protestant
Chapitre VII : Critères traditionnels et nouvelle esthétique
Composition
Intrigue et ancrage référentiel
Personnages
Temporalité, transcendance
et réalité des personnages
Langue et images
Le Cavalier de paille (1936), une réception moins polémique
Troisième partie : Les années de l’oubli
Chapitre VIII : Difficultés éditoriales
Rupture des contacts
Négociations à répétition
Crise financière
Première refonte du «Martin-pêcheur»
Une extraction difficile
Deuxième refonte
Le Martin-pêcheur et Agar
Chapitre IX : « Le Martin-pêcheur », une nouvelle « arithmétique » romanesque
De Lune d’été au Martin-pêcheur
Questions de méthode
Longueur et unité de l’oeuvre
« Le Martin-pêcheur », un corps vivant
Chapitre X : Réception du Martin-pêcheur (1953) et de L’Arrosoir rouge (1955)
Le Martin-pêcheur, un service de presse difficile
Monique Saint-Hélier, une revenante
Roman anglo-saxon et réalisme
Critères du roman français traditionnel
Le temps et l’illimité
Vision et évaluation de l’oeuvre
Chapitre XI : L’oeuvre de Monique Saint-Hélier en Suisse et en Allemagne
Deux voix suisses originales
Des lecteurs allemands passionnés : Hermann Hesse et Peter Suhrkamp
Conclusion générale
Bibliographie
En fondant un conservatoire de musique dans sa ville natale, François Bartholony pensait consolider l'harmonie civique. Pour "nationaliser" la musique à Genève, il imagina d'importer des partitions sérieuses (signées Haendel, Mozart ou Beethoven), de mettre en place une discipline stricte de l'apprentissage et de faire du solfège la clef de voûte de l'édifice. Dans l'enceinte de l'école, le comité de notables philanthropes dont il s'était entouré imposa non sans mal dans les classes l'abandon des romances et des pièces de salon, la soumission des élèves (jeunes filles de bonnes familles pour la plupart) aux examens et des professeurs aux inspections. Mais le nouvel établissement ne remplaça jamais totalement le riche tissu d'institutions parallèles (Société de Musique, écoles de catéchumènes, Société de Chant sacré, etc...) et de maîtres privés qui oeuvraient eux aussi à former des amateurs. En s'enfonçant dans les archives - celles de l'école et surtout celles réputées peu musicales des Archives d'État ou de la Bibliothèque Publique et Universitaire de Genève, on découvre la vivacité de ces formes d'initiation à la musique ainsi que les aléas du projet bartholonien. Un projet dont l'histoire est bien plus sinueuse que le racontaient les discours officiels. L'institution d'une nouvelle manière de faire la musique, devenue la nôtre, ne s'est en effet imposée que lentement, au prix d'un travail permanent d'ajustement du dessein initial du fondateur à une cité artistique et sociale en perpétuelle transformation. Le but de cette enquête est de mettre en lumière ces déplacements, tout en restituant un conservatoire "en situation", autrement dit en n'isolant pas l'école de musique genevoise du monde dans lequel elle s'insérait.
Emile Zola, employé de bureau, chroniqueur, romancier besogneux... un autodidacte acharné ? En reprenant la notion d’autodidaxie dans son sens originel et en la replaçant dans son histoire au XIXe siècle, cet essai revisite le cliché littéraire qui pèse sur Zola. La décrire suppose de reconsidérer les racines culturelles d’une autoformation hors du commun, entre 1858 et 1868. A partir de 1869, avec le lancement des Rougon-Macquart, son activité d’écrivain ne met pas un terme à son apprentissage, mais témoigne plutôt d’une autodidaxie experte qui dépasse la formation initiale tout en conservant la logique exploratoire des formes artistiques. Sur l’étendue de sa carrière, l’artiste sculpte son œuvre selon un dépassement de soi, en lien avec le champ littéraire de son temps. Le montrer à partir de la genèse des grands cycles zoliens, mise en relation avec sa correspondance littéraire et le baromètre de la réception, suppose de concevoir une génétique culturelle des processus de création.
Dans cet essai Olivier Lumbroso s’interroge sur la naissance de l’écrivain et se demande comment on le demeure grâce à des médiations qui, en dehors de l’Ecole, offrent à l’artiste les « écoles » de sa « formation permanente », dont les avant-textes sont l’un des laboratoires. Il en ressort, chez Zola, une posture de résistance contre son propre talent et un défi d’autodéveloppement, qui dépasse le métier et la doctrine naturaliste, afin de redonner de la puissance au roman et à la vie.